Et la pluie s'arrête au seuil
(2020)
Enfant, je construisais des cabanes. Couverture entre deux portes, bric-à-brac adossé à la grille d’un balcon ou d’un potager, palettes ficelées dans les arbres, ma fièvre bâtisseuse s’étendit bien vite aux refuges pour oiseaux blessés, et à l’adolescence. Les cabanes m’étaient des armures rassurantes, le lieu de ma consolation. Derrière leurs remparts, les pages d’un livre, les framboises chapardées aux voisins, les tomates prélevées au jardin, tout me devenait trésor. Par la construction, si bricole soit-elle, je reprenais le pouvoir. Entre les bras du refuge, si précaire soit-il, je lâchais prise.
Dans la cabane, rien ne peut vous atteindre. Les larmes sèchent, la colère gronde encore, mais plus loin. L’orage s’éloigne et la pluie s’arrête au seuil. Pourtant, l’abri n’est pas totalement étanche. Bien qu’elle devienne plus supportable, la réalité du monde filtre.
À la mi-mars 2020 – alors que notre pays, comme le reste du monde, est en pleine expansion épidémique – le confinement national m’a rappelée au souvenir des cabanes. Face aux gros titres ponctuant le quotidien, n’ayant appris ni à soigner, ni à coudre des masques, j’ai façonné des refuges. Pour traverser cette période, j’ai inventé des abris temporaires, des radeaux précaires, des cabanes symboliques pour rendre le monde plus habitable. Ces cabanes nous ressemblent, tantôt repliées sur elles-mêmes, tantôt ouvertes sur l’extérieur, parfois sur la défensive, elles luttent pour tenir bon, comme nous. J’ai choisi de travailler les légumes car ils gardent en eux la trace lointaine de leur environnement, le coin de verdure. La nourriture – celle auprès de laquelle on se console, celle dont on a peur qu’elle vienne à manquer, enjeu majeur dans l’étude de l’effondrement d’une société d’autant plus palpable en période de crise – est devenue mon matériau de construction.
Ces structures sont photographiées sur les journaux du quotidien préalablement triés et teintés. Il s’agit d’évoquer les différents secteurs touchés par la pandémie (Culture, école, milieux socio-professionnels etc.) et ses impacts, de traduire ce temps répétitif du confinement et les nouvelles distances avec lesquelles il faut composer, de réinventer les formes de l’isolement pour mieux le supporter, de convoquer – à travers la nature morte – nos paysages intérieurs quand celui de la fenêtre semble insuffisant. Enfant, je construisais des cabanes, et elles résistent encore.
Tirages pigmentaires sur papier japonais Awagami au format 40*40 cm
Édition de 6 exemplaires
2024
Festival PhotObjectif, Le Petit Pressigny, 18 août 2024
Festival Confrontations Photo, Espace Perdtemps, Gex, 8 au 10 mars 2024
2023
De l'air n°83 Festin, printemps.
Shortlist Festival Les Photographiques
2022
Centre d'hébergement La Mie de Pain, Paris (exposition personnelle, projet piloté par N. Laugero-Lasserre Artistic Rezo)
Shortlist Festival Boutographies
2021
Carte blanche de Chantal Nedjib pour L'image par l'image