Solastalgia
(2022-2024)
Solastalgie : n.f néologisme construit sur l’anglais « Solace » dérivé du latin solacium signifiant « consolation, réconfort » et « algie », suffixe emprunté à « nostalgie » et se traduisant par « douleur » en français. Concept forgé en 2003 et théorisé en 2007 par Glenn Albrecht dans « Solastalgia : The distress caused by environmental change, Australian Psychiatry. Le philosophe de l’environnement a tenté de décrire le sentiment de profonde détresse que nous pouvons ressentir face au spectacle imposé de la dégradation de la nature et la prise de conscience de l’irréversibilité de nos actes. La solastalgie renvoie à la douleur de perdre son refuge, son lieu de réconfort. En 2019, le philosophe français Baptiste Morizot étend ce concept à notre condition face aux métamorphoses dues au changement climatique. Il décrit la solastalgie comme un « mal du pays sans exil ».
On nous le dit et le répète. Mais l'entendons-nous vraiment ? Notre système se fissure. Son architecture est sur le point de rompre. De COP en rapports du GIEC, les scientifiques alertent sur l’état global de notre planète, le dérèglement climatique, la chute de la biodiversité, la dégradation du sol, les pollutions et l’épuisement des ressources. Pourtant, ces questions fondamentales ne sont toujours pas la préoccupation principale de nos dirigeants. Or, sans volonté politique, les solutions proposées par les experts internationaux ne peuvent être mises en œuvre. Devant la destruction de notre environnement, nos réactions sont plurielles ; détresse, colère, tristesse, déni. La santé de la Terre impacte notre santé mentale, et inversement. Les obstacles qui nous séparent d’une réelle prise en main de notre avenir paraissent des murs infranchissables, et pourtant ils sont fissiles.
Exploration du concept de solastalgie, ce travail rapproche formellement deux échelles de perception. La première est subjective. J’ai photographié la projection de mes propres angoisses environnementales sur des murs en ruine qui pourraient être ceux de nos maisons, rejouent dans l’espace domestique le paradigme de la terre malade et matérialisent la complexité de notre rapport aux enjeux environnementaux. À ces « visions » j’adosse des vues objectives, détails d’images satellites alimentant Copernicus, programme de l’UE pour l’observation et la surveillance de la Terre (ESA).
(photographies argentiques et vues satellites issues des archives de l'Agence Spatiale Européenne)
Tirages pigmentaires sur papier Hahnemühle aux formats 40*60 cm et 60*90 cm
Édition de 6 exemplaires
(tarifs à partir de 500.00 €) Plus de détails ? Contactez-moi par mail : tiphainepopuludelaforge@gmail.com
portfolios chromatique 4 tirages A5 en vente dans le Shop (55.00 € en prévente)
2024
Portfolio dans le magazine Fisheye #68 Écho, "Planète en ruines", texte de Cassandre Thomas, novembre - décembre.
Exposition au festival Promenades Photographiques, Salle Joséphine Baker, Blois, du 28 juin au 1er septembre .
Finaliste Prix Quinzaine Photographique Nantaise.
2023
Exposition au festival Les Sténopédies, Chapelle de l'ancien Hôpital Général, Clermont-Ferrand, du 7 au 28 octobre.
Finaliste session #3 du Prix Mentor à Corbeil-Essonnes.
Exposition au festival Itinéraires des photographes voyageurs, à l'Espace Saint Rémi (Bordeaux).
2022
Exposition au Festival Fictions documentaires, La Maison des mémoires (Carcassonne).
Projection à La Chambre (Strasbourg) dans le cadre du prix Archifoto.
Présélection pour le prix Dahinden Photoclimat.
Textes
Dans le creux de l’instant, là où le passé flirte avec l’avenir, la série Solastalgia de Tiphaine Populu de La Forge s’érige comme un monument invitant à la réflexion. Les textures craquelées, les couleurs délavées et les papiers peints délabrés racontent l’histoire d’un monde en décomposition tandis que des éclats de lumière révèlent la beauté résiduelle d’un espace délaissé. Les intérieurs désolés côtoient des vues aériennes issues d’archives de l’Agence spatiale européenne (ASE), témoignant du lien fragile qui unit l’humain et son environnement. « En juxtaposant ruine domestique et vue satellite, j’installe la métaphore. La symbolique du mur – maison, obstacle, déni, repli – pose l’éventail des enjeux environnementaux contemporains. Ses stigmates – craquelures, brûlures, moisissures – sont une voie simple pour passer du microcosme de la maison au macrocosme de la planète », relate la photographe autodidacte, qui a débuté ce projet en 2022. Cette dualité interroge notre rapport à la nature et à notre propre lieu de vie. Une réalité complexe dans laquelle les murs usés racontent des histoires de désespoir et de résilience. Pour l’artiste, confronter une image satellite à son imaginaire de la catastrophe lui permet d’obtenir une preuve visuelle de ce qu’elle avance : « C’est le bout du monde, mais c’est aussi chez nous, parce que la planète, c’est notre maison. » Formée aux lettres modernes et à l’histoire de l’art, Tiphaine Populu de La Forge dévoile une sensibilité unique dans son approche photographique. Et pourtant, rien ne la prédestinait au médium. Durant de longues années, elle a préféré le dessin et l’écriture, jugés « plus à même de saisir le foisonnement de [ses] idées ». Son parcours prend un tournant décisif face à la maladie de son grand-père photographe. En héritant d’une chambre d’atelier et en apprenant les secrets du collodion humide dans les livres anciens, elle découvre l’art de capter le monde à travers un objectif. L’approche poétique émanant de ses diptyques réside dans son choix de travailler avec un matériel argentique. Un Rolleiflex, qui, selon elle, répond à la frénésie de notre époque : « J’ai besoin de fabriquer et d’aller contre la position de notre société, toujours tendue vers le progrès et la vitesse. Malgré les embouteillages dans ma tête, je travaille lentement et capture finalement peu d’images. » L’attente, la lenteur, l’empreinte d’un temps suspendu deviennent ainsi des éléments cruciaux de sa pratique. La photographe utilise un trépied pour chacune de ses prises de vue. Telle une béquille ou une ancre, le support se transforme en une forme de « stabilité au milieu des tempêtes » et lui permet de dresser un portrait aussi méticuleux que nostalgique de notre planète, emmurée dans une profonde détresse.
Ces dernières années, dans divers débats environnementaux, analyses sociologiques ou encore projets artistiques, une notion ne cesse de se révéler au grand public : la solastalgie. Ce concept, théorisé en 2003 par Glenn Albrecht, philosophe australien spécialisé dans l’environnement, désigne la douleur de perdre son lieu de réconfort, qu’il s’agisse de notre maison ou notre planète. Il fait écho à notre rapport à la nature en déclin. « Ce mot est construit à partir de “solacium”, signifiant en latin consolation, réconfort, et “algie”, suffixe présent dans nostalgie et renvoyant à la douleur. La solastalgie n’est pas une simple inquiétude et diffère de l’écoanxiété en ce qu’elle est tournée vers le passé et le présent. La ruine est le passé que l’on perd et qui s’effrite au présent », précise l’artiste, ancienne professeure de littérature française. En s’intéressant au parallèle effectué entre la détresse environnementale et psychique, Tiphaine Populu de La Forge crée une conversation visuelle entre l’intime et l’universel. Chaque prise de vue devient un miroir de notre époque, réfléchissant non seulement notre réalité, mais surtout la douleur d’une Terre qui pleure ses blessures. Dans un monde où l’urgence écologique s’impose chaque jour davantage, Solastalgia interroge avec justesse le rôle que peut jouer l’art, en particulier le 8e art, dans la sensibilisation aux problèmes environnementaux. « Utilisée par les scientifiques et documentaristes dans leurs investigations, la photographie aide à la compréhension du monde. Ainsi, on a tous·tes en tête un imaginaire lié au dérèglement climatique. Mais notre cerveau repousse les images de catastrophes ou s’y habitue. Les spécialistes alertent depuis des décennies. Pourtant, on piétine, voire recule. On emprisonne les défenseur·es de l’environnement, on abreuve celles et ceux qui le sapent. Le dernier gouvernement est une aberration écologique. Les instances de protection de la biodiversité disparaissent, mais pas les accointances avec l’industrie pétrolière », s’insurge Tiphaine Populu de La Forge. La photographie lui permet d’atteindre le politique par le biais du sensible et de mettre des réflexions à disposition des spectateur·ices, « du moins, celles et ceux qui entrent en contact avec l’art », spécifie-t-elle.
Les clichés de Tiphaine Populu de La Forge sont des fenêtres ouvertes sur des réalités souvent ignorées mais cruciales, nous incitant à réfléchir à notre rôle au sein de cet univers en mutation. Dans un monde où tout semble éphémère, son travail nous rappelle que chaque mur, chaque glacier, chaque forêt, chaque instant sont chargés de sens, à condition d’ouvrir ses yeux et son coeur. #
Cassandre THOMAS
« Planète en ruines », in Fisheye Écho #68 spécial Paris Photo, novembre - décembre 2024.
Rien de tel que la fusion intime plastiquement opérée entre le microcosme de la demeure et le macrocosme de la planète pour nous faire ressentir que la ruine domestique menace tout notre globe. Les diptyques de Solastalgia réalisés par Tiphaine Populu de la Forge nous motivent à partager cette éco-anxiété qui nous tient, d’une jeune génération comme celle de la photographe à celles des générations qui l’ont précédée. Son subtil travail de couleurs et de matières montre l’espace en fiction d’une maison en ruine prolongé par des détails documentaires d’images satellites du programme de l’Union Européenne pour l’observation et la surveillance de la Terre. Une certaine beauté de la catastrophe annoncée ne rend pas moins puissant cet avertissement photographique.
Christian GATTINONI, directeur artistique du festival Fictions Documentaires, critique d'art, enseignant à l'ENSP d'Arles de 1989 à 2016, photographe et rédacteur en chef et cofondateur de la revue en ligne lacritique.org
pour Solastalgia, dans le cadre de la 6ème édition du festival Fictions Documentaires (15 nov.- 17 dec. 2022)